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Le troisième élément du cerveau

Juan García Ruiz
March 18th, 2022 · 8 min read ·
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Je vais vous raconter une histoire espagnole qui risque de vous briser le cœur. Il était une fois un cerveau dirigé par un astrocyte et un neurone. Attends, attends, ne ferme pas la fenêtre et reste avec moi un peu, ça devient intéressant. Le neurone était le centre de l’attention, il était chargé de la communication entre les différentes parties du cerveau et entre le cerveau et le reste des organes. Grâce au neurone, il y avait du mouvement, des sens, de la conscience et de la mémoire. L’astrocyte était heureux de nourrir le neurone, de limiter l’entrée d’intrus dans le cerveau par le sang en formant une barrière (la barrière hémato-encéphalique), et il avait aussi son mot à dire dans la communication. Ils étaient heureux ensemble, se complétaient et dépendaient même un peu l’un de l’autre. C’est du moins ce qu’ils voulaient nous faire croire. Un beau jeune homme appelé Ramón y Cajal, qui était un détective privé engagé par le petit astrocyte, est apparu sur scène. Jour après jour, il a observé méticuleusement le cerveau. Rien de nouveau. Tout semblait en ordre. Mais attendez une minute… Il y a quelqu’un d’autre ! Il y en a un troisième ! C’est comme ça que Cajal l’a littéralement appelé. “Le troisième élément.” Le cœur du petit astrocyte a été brisé par ce troisième élément qui lui a retiré la vedette. Un peu plus tard, l’élève de Cajal, Pío del Río Hortega, a pris le relais et s’est consacré à l’étude de ce troisième élément, qu’il a finalement appelé microglie. Et voilà pour le drame romantique. Parlons maintenant de choses sérieuses (et bien plus intéressantes). Microglie, qui êtes-vous ?

La microglie prend la parole : je suis une cellule polyvalente, bien meilleure que l’astrocyte ! Je suis médecin, et agent de sécurité à mes heures perdues. Je m’assure qu’il n’y a pas d’ennuis, je visite chaque recoin du cerveau à la recherche d’intrus avec mes nombreux bras, je contacte les neurones pour savoir comment ils vont. Lorsque je détecte un étranger, je le mange (fonction : phagocytose). D’autres fois, je garde certains de ses habits et je les montre à un ami pour qu’il puisse l’identifier et s’en occuper : la cellule T (fonction : présentation de l’antigène). Mais je peux aussi appeler d’autres collègues comme les leucocytes pour qu’ils viennent m’aider là où il y a des soucis (fonction : pro-inflammation). Je peux aussi renvoyer tout le monde chez eux quand la bataille est terminée (fonction : anti-inflammation). Attends, qu’est-ce que tu veux dire ? Tu dis que je ne suis pas unique et que cela peut aussi être fait par les macrophages ? Oui, mais je peux agir beaucoup plus rapidement et je suis plus efficace pour me rendre au bon endroit (meilleure régulation spatio-temporelle). Et contrairement aux macrophages, je n’ai pas besoin d’être constamment remplacé. Comme j’ai le privilège d’être dans le cerveau, l’organisme ne peut pas se permettre d’envoyer constamment de nouvelles cellules microgliales, car la barrière hémato-encéphalique est assez sélective concernant qui passe et qui ne passe pas. Je suis donc en mesure de maintenir mon statu quo et de proliférer localement lorsque cela est nécessaire. J’aide aussi les neurones à choisir leurs amis. Lorsque je vois que la communication entre deux neurones n’est plus la même chose, j’y mets fin (fonction : suppression des synapses). Bref, je suis là pour veiller à la santé des neurones quand ça ne va pas. Et quand ça va un peu mieux, je fais en sorte que ça reste comme ça (fonction : homéostasie). Mais j’arrête de parler de moi. Je te laisse avec Agnès Nadjar, qui s’est beaucoup intéressée à ma vie et à mon rôle dans l’obésité.

Agnès Nadjar est professeure de neurosciences à l’université de Bordeaux et s’intéresse à l’étude de l’effet de la nutrition sur le cerveau dans le contexte de l’obésité. Elle se concentre sur la microglie, la cellule immunitaire du cerveau. Agnès a fait sa thèse dans le laboratoire du professeur Robert Dantzer sur les interactions entre le système immunitaire et le système nerveux central, ce qui a éveillé sa passion pour la microglie. Elle a réalisé un postdoc sur le processus de neuroinflammation pathologique dans la maladie de Parkinson, et après elle a été recrutée en tant qu’enseignant-chercheur à Bordeaux. Elle a également monté un projet avec Philip Haydon à l’Université de Tufts (Boston) sur le rôle des interactions entre la microglie et les astrocytes dans la réponse de sommeil à une inflammation. A son retour elle a intégré le laboratoire NutriNeuro à Bordeaux pour ajouter une composante nutritionnelle à ses études de neuroimmunologie. L’année dernière elle a intégré le neurocentre Magendie où elle travaille principalement sur l’obésité et la neuroinflammation.

JGR : Quels sont les principaux dangers de l’obésité sur notre santé ?

AN : L’obésité est un facteur de risque majeur pour le diabète, les maladies cardiovasculaires, pour les maladies neurodégénératives, pour la dépression et pour certains déficits cognitifs. Par ailleurs l’obésité s’accompagne souvent avec une diminution de l’activité physique et avec de l’apathie. Donc il s’agit d’un problème à la fois physique et psychologique.

JGR : L’obésité a atteint des niveaux épidémiques. Entre 1995 et 2000 on est passé de 200 millions de personnes obèses à 300 millions. A ton avis, cette augmentation est due à quoi ?

AN : Il s’agit bien d’une pandémie. On estime que 30% de la population mondiale est en surpoids et 15 à 20% en obésité. Pourquoi ? Il y a plusieurs choses. D’abord il y a eu un shift nutritionnel majeur il y a un peu moins d’une centaine d’années avec la consommation du sucre raffiné, l’un des nutriments les plus obésogènes qui existe. Il y a aussi l’apparition de la diète occidentale : fast-food, pizza, boissons sucrées. Associé à cela, il y a eu une augmentation de la sédentarité. Les gens font moins de sport et marchent moins dans la journée. Donc globalement on bouge moins et on mange de la mauvaise nourriture en grande quantité et à n’importe quelle heure.

JGR : Tu étudies l’obésité dans une autre échelle bien plus petite: cellulaire et moléculaire. Tout d’abord, qu’est-ce que la microglie ?

AN : La microglie est la cellule immunitaire du cerveau. Son rôle est de maintenir un environnement optimal pour les neurones. Son travail est de détecter les variations qui ont lieu dans le cerveau, qu’elles soient normales ou anormales. Cette cellule est particulièrement sensible aux variations nutritionnelles et peut détecter des modifications très petites grâce aux prolongations qu’elle a autour d’elle. En fonction de ce qu’elle ressent, elle modifie son activité pour protéger les neurones et faire en sorte qu’ils continuent à fonctionner normalement. Le problème c’est que parfois les attaques qu’elles subissent sont trop fortes et la protection neuronale ne peut plus être mise en place.

JGR : En quoi la microglie est-elle liée à l’obésité ?

AN : L’obésité est certainement une maladie du cerveau bien avant d’être une maladie du corps. Quand on regarde les gènes de susceptibilité à l’obésité, ils sont tous liés à des processus cérébraux. Parmi les premières choses qui se mettent en place quand on mange trop gras et trop sucré, il y a une activation inflammatoire dans le cerveau produite par la microglie. On a vu que si on pouvait empêcher cette activation inflammatoire de la microglie, on pourrait empêcher la prise de poids chez les animaux (à confirmer chez l’humain).

JGR : En plus de la microglie, tu t’es pas mal intéressé à l’oméga-3. Quel est son rôle dans ce contexte ?

AN : L’oméga-3 est un lipide protecteur capable de prévenir l’activité inflammatoire microgliale, donc c’est plutôt bon pour le cerveau. Le problème des diètes obésogènes c’est qu’il y a un déficit majeur en oméga-3 en plus de contenir des mauvais acides gras et glucides, donc la microglie va combiner toutes ces informations et va conduire à l’inflammation. La diète méditerranéenne est un bon régime dans ce sens-là, car elle contient des légumes, des fruits, de l’huile d’olive et du poisson. Il y a très peu d’acides gras saturés et il y a de l’oméga-3, donc c’est un régime très bénéfique pour le cerveau.

JGR : Que fait l’oméga-3 dans nos cellules ?

AN : Les omégas s’incorporent dans les phospholipides qui composent les membranes plasmiques de toutes les cellules du corps. La plupart de l’oméga-3 monte au cerveau, qui est une véritable pompe à ce lipide. Il existe une théorie qui propose que le cerveau des homo sapiens sapiens est ce qu’il est depuis qu’on a commencé a manger de l’oméga-3 (du poisson, fruits de mer, etc). Ces oméga-3 ont permis de construire les membranes des cellules du cerveau et ils peuvent avoir des rôles liés à leur fluidité et à la mobilité des récepteurs. Mais ces molécules peuvent également être clivées de la membrane et devenir des signaux moléculaires dans la cellule, en contrôlant différentes voies de signalisation.

JGR : Quelles sont les dernières découvertes faites dans ton équipe ?

AN : Le dernier papier qu’on a publié dont je suis particulièrement fière portait sur le rôle des oméga-3 dans le développement cérébral. On a étudié notamment l’effet d’un manque en oméga-3, ce qui est le cas de la quasi-totalité de la population mondiale. On a vu que si les petits se développent dans un contexte avec très peu d’oméga-3 leur cerveau va moins bien se mettre en place. Par exemple, il y aura moins de synapses. Pourquoi ? Si la microglie détecte ce manque en oméga-3 elle va mettre en place une activité en détriment des synapses. Comment ? J’ai mentionné précédemment que l’oméga-3 pouvait sortir des membranes et agir en tant que signaux moléculaires. Quand les oméga-3 manquent dans la microglie, ils sont clivés et le fragment lipidique résultant va activer une cascade d’événements dans la cellule et va conduire à la phagocytose au niveau des synapses. Ces oméga-3 vont manquer dans la microglie et dans la neurone, mais ce qui déclenche la phagocytose c’est vraiment l’absence de ce lipide dans la microglie. La conséquence c’est que les neurones se retrouvent avec moins de capacités de se connecter avec leurs voisins et ces animaux présentent des déficits cognitifs quand ils grandissent.

JGR : Tu as monté une start up dans le passé. La recherche et l’entrepreneuriat ne sont donc pas incompatibles. Aurais-tu un conseil à donner aux jeunes chercheurs qui visent aussi à développer un projet ?

AN : Il faut rester très ouvert. J’étais la première à dire : jamais je travaillerai dans le secteur privé. Et me voilà à monter une entreprise. J’avais un peu perdu la foi dans la recherche, même si ça n’a pas duré longtemps. Donc j’ai monté une start-up en même temps que j’avais mon travail d’enseignant-chercheur. J’ai trouvé ça extrêmement enrichissant. Si les gens ont éventuellement l’idée de partir dans le secteur privé ou de monter une start-up je les conseille de se former. A l’université de Bordeaux il y a maintenant des formations pour les doctorants où on sensibilise les étudiants à l’entrepreneuriat. Cette formation s’appelle UBcreate. Tout étudiant de l’Université de Bordeaux qui a une idée d’entreprise peut contacter cette structure pour trouver du soutien, de l’aide pour monter le projet ou du financement. On a tout un réseau d’incubateurs dans la région. Je conseillerais aux gens de se former pour pouvoir commencer à se faire un petit réseau dans le domaine et comprendre les mécanismes. J’ai découvert avec l’entrepreneuriat que l’objectif n’est jamais de gagner de l’argent, mais c’est d’abord une démarche intellectuelle. Donc je conseille aux gens de rester très ouverts là-dessus.

JGR : Tu te rappelles d’un conseil qu’on t’a donné dans la recherche ?

AN : Le premier qu’on m’a donné c’est : ne remet jamais au lendemain ce que tu peux faire la veille. En thèse c’est le secret de la réussite. Un autre conseil qu’on m’a donné et qui était très important pour moi vu que j’ai un parcours un peu atypique c’est : fais ce que tu veux ! Peu importe ton parcours tant que tu es capable de le justifier devant un jury de recrutement, tant que tu arrives à y donner du sens. En fait maintenant je passe mon temps à analyser des dossiers de jeunes chercheurs et j’ai réalisé qu’il n’y a pas vraiment de parcours classique, il n’y a pas de voie royale.

JGR : Avez-vous une lecture scientifique à recommander ?

AN : Quand j’ai choisi de faire ma thèse chez Robert Dantzer c’est parce que j’avais lu son livre The psychosomatic delusion. J’avais trouvé ça génial, le fait que notre comportement pouvait être contrôlé par notre système immunitaire et inversement.

JGR : Un dernier message pour les lecteurs ?

AN : Il faut jamais écouter les oiseaux de mauvais augure, les gens qui vous disent que vous n’allez pas y arriver. Il faut juste faire les choses, il faut y aller quand on a une passion !

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